Mulitilingue

Je suis en train de (re)lire Problèmes de linguistique générale d’Émile Benveniste, dont j’admire l’érudition, le style accessible et l’approche décontracté au multilinguisme dans ses écrits. Le dernier point est illustré par une citation.

I’m reading, or, for some parts, rereading, Émile Benveniste’s Problèmes de linguistique générale, both volumes of which are available in the publisher Gallimard’s low-cost-high-quality collection tel.

Benveniste#[1] (1902-1976) is one linguist whose name should be the first that comes to mind when writing about (the lasting influence of) structuralism in contemporary French linguistics. Strangely enough, it doesn’t: in the anglosphere, I usually see some hand-waving about Lévi-Strauss, full stop. Lévi-Strauss has certainly influenced many disciplines, but he wasn’t a linguist and is, as far as I can tell, an indirect reference at best in French writings on language.

Problèmes de linguistique générale is a collection of articles published between 1939 and 1972. I like the very readable style — the only difficulty comes from the subject matter — and the sheer erudition, which is always in the service of the topic, is quite mind-boggling#[2].

I want to quote, without translation, the first and part of the second paragraph of Pour une sémantique de la préposition allemande vor (reprinted as ch. X of vol. 2, originally published in Athenaeum, nouvelle série, vol. L, fasc. III-IV, University of Pavia, pp. 372-375) because its approach to multilingualism made me smile (footnotes omitted):

Dans un article antérieur, nous avons tenté une interprétation unitaire des emplois de la prépositon latine prae, afin de monter en particulier que le sens dit causal de prae résulte d’une spécialisation du sens général de « à l’avant, à l’extrémité, au point extrème ». Nous avions donc repoussé l’explication donnée par Brugmann de l’expression prae (gaudio) : « Etwas stellt sich vor etwas und wird dadurch Anlass und Motiv für etwas ». P. Meriggi, sans considérer en détail l’argumentation de notre article, reprend la thèse de Brugmann, et à la question que nous posions : « je pleure devant la joie… En quelle langue s’est-on jamais exprimé ainsi ? », il répond: « In tedesco, perchè vor Freude è l’expressione del tutto corrente e addirittura unica pel lat. prae gaudio ».

Nous pensons que, loin de modifier notre conception du sens de lat. prae gaudio, l’expression allemande vor Freude la renforce.

In what follows, he extensively quotes from the Grimms’ dictionary. In the original German, of course.


Notes:

[1]: The Johns Hopkins Online Guide to Literary Theory and Criticism used to have an entry that was a good intro, though slightly slanted towards Benveniste’s influence on literary criticism. Well, it probably still has, but the database has unfortunately become subscriber-only and is thus inaccessible to lowly people such as me. Wikipedia, is for once, rather unhelpful. Except for the German version — someone should definitely translate this. [2]: For example, the essay La phrase relative, problème de syntaxe générale (originally published in Bulletin de la Société de Linguistique, LIII, (1957-58), fasc. 1) starts with a brief introduction, and then considers Ewe, Tunica, Navajo, Chipewyan and Arabic, before stating On peut maintenant se tourner vers l’indo-européen — he turns to Sanskrit, Old Persian, Homeric Greek, Hittite and Latin, and finishes with a few notes on Old Irish and German.


  1. Who are you callin’ ungrammatical? — un bon article de Jan Freeman, correctrice et chroniqueuse sur les questions de langue au Boston Globe. Vous l’aurez déviné : elle parle de whom et de sa disparition.
  2. American Accent Undergoing Great Vowel Shift — un entretien avec le linguiste William Labov dans l’émission All Things Considered, animée par Robert Siegel sur la radio publique américaine. Via Mark Liberman sur Language Log, qui nous apprend la triste nouvelle que, suite à sa parution sous forme de livre plus CD, le Atlas of North American English, fruit des recherches du professeur Labov, ne sera plus accessible librement en ligne.
  3. Le mot de la fin — les chroniques du lexicographe Alain Rey sur France Inter (chaque matin de lundi à jeudi) sont disponibles sous forme de podcast. Excellent.
  4. Speaking in Minor and Major Keys [.pdf] — via Argonaut, un article de recherche par Maartje Schreuder, Laura van Eerten et Dicky Gilbers, qui ont trouvé dans l’intonation de la parole des tonalités (musicales) mineures associées à la tristesse et des tonalités majeures associées au bonheur, en faisant lire à leurs sujets des extraits de Winnie the Pooh en néerlandais. Pour la tristesse, c’est Eeyore qui parle, et le bonheur et l’energie, Tigger.

right-hook v

Via Bridget Samuels de chez ilani ilani nous apprenons que le conseil de l’Association Phonétique Internationale vient de rajouter le caractère ci-contre, un v avec un crochet droit, à l’API. Il symbolise une consonne battue labio-dentale. Pour produire ce son, il faut faire rentrer la lèvre inférieure à l’intérieur de la bouche et la faire claquer contre les dents en la sortant. D’accord, il va falloir que je m’entraîne si un jour je décide d’apprendre le Mono, ou une autre langue africaine ayant ce phonème dans son répertoire.

Les dernières versions béta des polices Doulos SIL et Charis SIL“>Charis SIL contiennent le v-crochet-droit dans leur « espace à usage privé » (c’est-à-dire il manque encore dans Unicode). Si vous avez l’une de ces polices sur votre ordinateur, vous pouvez le voir ici: . (Dans le cas contraire vous verrez n’importe quoi.)


Appel aux francophones

A small, informal grammar-judgement survey in French. Results and objective will be posted in a future entry.

J’ai besoin de votre jugement grammatical. Voici six phrases : J’en ai parlé avec quelqu’un, mais je ne me rappelle plus qui. Jacques a discuté du problème avec un de ses supérieurs, mais je ne sais pas avec qui. J’ai parlé de quelque chose avec Marie, mais je ne me rappelle plus quoi. Pierre a fait ce travail pour un […]

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  • 2005-09-04
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L’exemple type d’un acte de parole susceptible d’entraîner des dégâts réels est « crier au feu dans un théâtre bondé ». Il faudrait peut-être remplacer cet exemple par « crier au kamikaze dans une foule épaisse ». La semaine dernière a été bien trop meurtrière. (Je me rends compte que ni l’une ni l’autre des deux énoncés n’est, à proprement dire, […]

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Les poteaux roses, c’est auripilant

The word horripilant comes from horreur and not from any word that derive from the root aur- (gold).

Asphondylia auripila is a little gall midge, presumably covered in golden body hair.

  • 2005-07-22
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Trouvailles : Quel plaisir de faire violence à ce qui auripile nos oreilles. (lien) […] il se donne un genre qui m’auripile et je ne supporte pas sa façon de massacrer les chansons de nos grands chanteurs français. (lien) La n’est pas la question, mais ça m’auripile de vous entendre dire: “Attention aux motos Ecoles”, vous en avez eu […]

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… et où l’on les découvre vraiment

French eggcorns, the list.

Continuation du billet précédent, coupé en deux pour raison de longueur excessive. Voici donc la liste des poteaux roses français : héraut » héros : Un héros de la lutte contre le SRAS élu président de l’Association médicale chinoise (lien) ôter » hauter : Mon père avait sélectionné avec soin deux sabres pour nous hauter la vie, […]

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… où l’on découvre les poteaux roses

This is a long overdue post on French eggcorns, with an introduction and (in the second instalment) a collection of about 40 of “poteaux roses”.

Les lecteurs/trices francophones qui ne jettent pas les gants devant les billets rédigés dans la langue de JK Rowling ont déjà rencontré un genre d’entités mystérieuses appelés eggcorns. Il est grand temps que /ser.ənˈdɪp.ɪ.ti/ leur consacre un article en français. Le voici. L’histoire des eggcorns a débuté il y a deux ans, quand les professeurs de […]

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  • 2005-07-19
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Article intéressant de Michael Erard dans le New York Times d’aujourd’hui (inscription requise), sur le livre et la base de données Ethnologue, publiés par le Summer Institute of Linguistics (S.I.L.). C’est une source d’informations indispensable pour quiconque s’intéresse aux langues du monde. Les travaux du S.I.L. couvrent non seulement la recherche linguistique, mais aussi la typographie […]

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Finex ! Pooo !

Interesting (but too short) article on the language of the French military — slang, phonetic idiosyncrasies, and lexicalised initialisms. The source is a semi-confidential manuscript written by an unnamed officer.

Remarkable examples: “PMF” for “woman”, from the collective term “female military personnel”; “IAL” for “drinking straw”, from “interface for liquid food”. And so on.

A general is called a “leek”. Why? Because his head is white, but his shaft still green.

The “translation” of an excerpt from Little Red Riding Hood (that would be “LRRH”, or “PCR” in French) is particularly amusing.

  • 2005-07-14
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Libé parle langue dans un article de Jean-Dominique Merchet consacré à l’argot militaire (14 juillet oblige). S’il est assez vague sur sa source, «  un petit document semi-confidentiel » (à mon avis, c’est celui-ci ; voir également là) rédigé par un officier anonyme, cet aperçu de particularités lexicales — lexicalisation de termes et sigles issus du jargon bureaucratique […]

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