Via Crooked Timber, un résumé style BD des règles du cricket [.pdf] — en français. Publié, en effet, par la Fédération Française de Basketball - Softball & Cricket.

Non seulement j’ai tout compris (et j’en suis fière), y compris que l’équipe défendante est celle qui essaie de faire tomber les taquets, mais j’ai même eu une révélation lexicale et phonologique : Le mot anglais wicket est en fait étymologiquement identique au mot français guichet !

Les couples de mots en /w/ pour l’anglais et /g/ pour le français sont bien connus : ils sont la trace d’un changement phonologique qui obéit à une règle. Des exemples : war - guerre, Wales - (Pays des) Galles, wasp - guêpe (l’accent circonflexe rappelle un /s/ supprimé), William - Guillaume, warden - gardien, waffle - gaufre etc.

Je ne sais pas quand le changement de la consonne a eu lieu, ni lequel des deux sons fut le premier, mais pour s’y rapprocher un peu, notons que ce ne sont pas des mots français empruntés par l’anglais mais des exemples de mots d’origine germanique dans la langue française. TLFi précise que guichet était déjà un mot de l’ancien français (dans le sens « petite porte pratiquée dans une porte monumentale, une muraille, une fortification »), avec une première citation datant de 1135.


Little Women en V.F. : c’est la consternation

A fellow blogger discovers that his French translation of Louisa May Alcott’s classic Little Women (French title: Les quatre filles du Docteur March) is a horribly bowdlerised text. If you wonder where the “doctor” part in the title comes from, you’ve caught the first strand of what turns out to be the fascinating editorial history of the French version. Starting at the end of the 19th century, the references to religion and the characterisation of Jo, one the novel’s heroines, have been highly problematic, as far as the French editors and translators have been concerned.

Pascal de chez Finis Africae découvre que la lecture de Little Women (titre français : Les quatre filles du Docteur March), le roman de formation de Louisa May Alcott, en version française appelle quelques interrogations critiques. Principale mise en cause : la traduction, dans son cas celle de Anne Joba pour Le Livre de Poche Jeunesse :

  • Seule la première partie du roman est traduite, la seconde n’étant semble-t-il pas disponible chez nous. Ainsi, pour les lecteurs francophones, Beth ne tombe pas malade, ne meurt pas à la fin, et le roman se termine sur un happy end. Et sur cette première partie elle-même, il manque trois chapitres. […]
  • Toute référence à la religion est supprimée. Par exemple, on ne parle pas du Pilgrim’s Progress dans cette version française, et si la gouvernante est toujours française, elle n’est plus catholique. […]
  • Les références à la littérature sont également supprimées. Ainsi, au chapitre 3, Jo ne pleure plus sur The Heir of Redclyffe mais sur « un livre qu’elle lisait », et au chapitre 5, Meg ne se replonge plus dans Ivanhoe mais dans « son livre ». […]

Pascal fournit un lien vers un autre site détaillant les mutilations qu’a subi ce classique de la littérature de jeunesse américaine du 19ème siècle aux mains de la traductrice et de l’éditeur.

Après quelques recherches, on se rend compte que les versions expurgées et édulcorées de ce roman en langue française ne datent pas d’hier. L’excellent article De Little Women de Louisa May Alcott aux Quatre filles du docteur March. Les traductions françaises d’un roman de formation au féminin de Claire Le Brun (Université Concordia, Montréal, Canada) — disponible en ligne sur le site extrêmement intéressant d’édition scientifique erudit.org — fait la comparaison de six traductions françaises entre 1880 et la fin du 20ème siècle. (Celle de Anna Joba n’en fait pas partie.) En effet, Claire Le Brun observe :

[E]n 1880, Pierre-Jules Hetzel, célèbre éditeur français pour la jeunesse, publie sous le pseudonyme de P.-J. Stahl, Les Quatre filles du docteur Marsch [sic] d’après L.M. Alcott, pour son « Magasin d’éducation et de récréation », fondé en 1864. P.-J. Stahl a joué un rôle décisif dans la transmission de Little Women en domaine francophone. Cette adaptation, plus ou moins retouchée par les éditeurs et des adaptateurs anonymes, continue d’avoir cours et nous l’avons incluse dans le choix de traductions. Elle a imposé au récit des distorsions qui n’ont pas été rectifiées depuis.

Ainsi c’est Stahl qui impose cette fiction du « docteur » March, en faisant jouer au père dans l’armée nordiste, non pas le rôle d’un aumônier, mais celui d’un médecin. Version plus acceptable dans une France républicaine où s’affrontent les tenants du catholicisme ultramontain et de la laïcité, peu réceptive dans son ensemble au mariage des guides spirituels. L’éditeur estimait en effet que le livre « tel qu’il était, n’aurait pu […] réussir en France ». Si les traductions récentes ont corrigé l’erreur dans le texte, le titre demeure inchangé, et les lectrices francophones continuent de croire que le père des soeurs March est docteur en médecine. Son absence dans le premier tome permet d’ailleurs de ne pas se poser trop de questions. La seconde modification substantielle apportée au texte est le gommage systématique de l’intertexte bunyanien. Chez Stahl, la Morale familière remplace le Pilgrim’s Progress. Or, ce texte clé de la spiritualité protestante (1678), évoqué dès le premier chapitre, imprime son mouvement au texte d’Alcott ;

L’étude de Claire Le Brun traite d’ailleurs longuement des passages touchant au personnage de Jo — garçon manqué, reflet autobiographique de l’auteure et de loin le personnage le plus intéressant du livre. Sa caractérisation ne sort que rarement indemne des traductions ; de l’adolescente complexe, forte tête dans tous les sens du mot, il ne reste souvent qu’un pâle reflet. Plusieurs tableaux comparatifs (je trouve particulièrement intéressants celui-ci et celui-ci) compètent l’article. En guise de conclusion, si aucune des six traductions n’est irréprochable, on peut s’attendre à ce que celle de Paulette Vielhomme-Callais (Gallimard Folio/Junior) et celle de Maud Godoc (Castor-Poche) soient à peu près buvables.

Il est passablement surprenant de constater qu’à une époque où la version cinématographique de la trilogie His Dark Materials (titre français : À la croisée des mondes) de Phillip Pullman est expurgée de toute référence à la religion pour cause de frilosité présumée du marché étatsunien, celle-ci est supprimée dans la traduction française d’un livré américain. Dans le premier cas, le projet de carrément tuer Dieu étant au centre de la trilogie, on redoute une réaction de rejet d’une société empreinte d’un christianisme militant. Dans le deuxième, on sous-estime les jeunes lecteurs et lectrices, et leur rend un piètre service en leur servant une sorte de bouillie insipide à force d’avoir ôté du plat original les épices peu familières.

Quand les jeunes américains lisent que Harry Potter et ses amis mangent des cheeseburgers alors qu’en version britannique, on leur sert des des bangers and mash (saucisses-purée), je peux encore en rire ; peut-être. Mais des atteintes à l’intégrité d’une œuvre et des tromperies du lectorat sur son contexte social et historique de cette étendue me semblent inexcusables.

[Cette démarche n’est bien sûr pas propre à la France et aux traducteurs français. Voici une perspective qui vient des États-Unis, sous forme de critique d’un livre sur la censure des idées potentiellement troublantes dans les recueils de textes utilisés dans l’enseignement, écrite par une bibliothécaire qui sait de quoi elle parle.]


Appel aux francophones

A small, informal grammar-judgement survey in French. Results and objective will be posted in a future entry.

J’ai besoin de votre jugement grammatical. Voici six phrases :

  1. J’en ai parlé avec quelqu’un, mais je ne me rappelle plus qui.
  2. Jacques a discuté du problème avec un de ses supérieurs, mais je ne sais pas avec qui.
  3. J’ai parlé de quelque chose avec Marie, mais je ne me rappelle plus quoi.
  4. Pierre a fait ce travail pour un de ses supérieurs, mais je ne me rappelle pas lequel.
  5. Olivia a fait ce travail avec une collègue, mais je ne sais pas qui.
  6. Il y a deux boutons : l’un sert à éteindre la lumière et l’autre sert à autre chose, mais je ne me rappelle plus quoi.

Ce que j’aimerais savoir pour chacune de ces phrases, c’est si, pour vous, elle est acceptable (grammaticalement parlant) 1) dans la langue courante (ni particulièrement soutenue, ni familière) ; 2) dans la langue familière, parlée. Deuxièmement, si vous jugez une phrase inacceptable, cela m’aiderait si vous m’indiquiez si, pour vous, il s’agit a) d’une entorse légère à la norme (c-à-d, il pourrait vous arriver de dire cela quand même), b) de quelque chose manifestement faux ou c) d’une horreur absolue.

Bien entendu vous êtes libres d’ajouter des explications, commentaires ou suggestions comment corriger les phrases, si nécessaire.

Pour ne pas orienter votre jugement, je garde le secret pour l’instant quant au but de l’exercice. Je vous promets une explication dans un nouveau billet dès que j’ai quelques commentaires.

Merci d’avance pour votre participation ! N’hésitez pas à vous y lancer — ce que je cherche est surtout l’opinion des locuteurs/trices moyen/nes, et non pas des dieux de la grammaire (il n’y a pas de piège dans les questions, d’ailleurs).


Langues régionales de France

There is an interesting blog-based debate going on about the value of teaching “regional languages” in French schools. The main languages in question are Breton, Corsican, Occitan, Basque, maybe Alsacian and some others — none of which is a French dialect (the word having been used with a pejorative connotation).

In discussions like these I realise how much of a Sapir-Whorfian streak I have developed.

Débat intéressant à blogs interposés entre Batims, qui exècre les langues régionales et leur enseignement et qui trouve, en gros, que cela sent le renfermé, et Pascal de chez Finis Africae#[1] qui, au contraire, nous fait une défense passionnée et exhaustive du multilinguisme, du patrimoine linguistique et de la richesse de toute langue, quelle qu’elle […]

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  • 2005-09-26
  • Comments Off

It is reassuring to know that the Paris police Préfecture has been making plans in the event of terrorists attacking several places at once, like in Madrid or London. According to a Libération article, the first step would be to get everyone out of the public transport network: Si un jour, un attentat […]

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Les rennes en rose

Some eggcorns seem to transcend languages. Or rather, some idioms seem to undergo eggcornification in several languages at once. In English, scapegoat has been turned into escape goat and scrapegoat. As for the French equivalent, bouc émissaire has at least four eggcorn versions.

The extremely common eggcorn rein»reign has a French cousin, too. Except that in French, people don’t take the reigns, but the reindeers of power.

According to my estimate, prendre les rennes de … amounts to over 10% of the instances where standard French would have required rênes.

J’ai déjà fait allusion à cela : certaines locutions semblent plus enclines que d’autres à se laisser transformer en poteaux roses. Et le phénomène peut transcender les frontières linguistiques. Ainsi, le pauvre bouc émissaire pointe le nez déguisé en bouquet misère, bouquet mystère, bouc et misère, bouc et mystère et ainsi de suite. Mais son homologue […]

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A matter of perception

Petit rappel : La langue officielle de l’Union postale universelle est le français. Même pour des envois entre le Japon et les États-Unis.

  • 2005-08-12
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Mark Liberman receives a parcel from Japan (with an interesting book inside), and wonders why a shipment from Asia to America should be marked with a stamp in French saying BUREAU DE POSTE - MUSASHIFUCHU JAPON - TAXE PERÇUE: I didn’t know that percevoir can mean “to receive (payment)” as well as “to perceive” […]

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  • 2005-08-01
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Céline, qui blogue sur Naked Translations, connaît un chanoine — « Canon », en V.O., attention à la polysémie ! — à la retraite qui lui a fait un dessin merveilleux du plan-type d’une église anglaise, avec toutes les parties étiquetées. Moi, je l’ai téléchargé pour le mettre dans mes fichiers de référence.

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Les poteaux roses, c’est auripilant

The word horripilant comes from horreur and not from any word that derive from the root aur- (gold).

Asphondylia auripila is a little gall midge, presumably covered in golden body hair.

  • 2005-07-22
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Trouvailles : Quel plaisir de faire violence à ce qui auripile nos oreilles. (lien) […] il se donne un genre qui m’auripile et je ne supporte pas sa façon de massacrer les chansons de nos grands chanteurs français. (lien) La n’est pas la question, mais ça m’auripile de vous entendre dire: “Attention aux motos Ecoles”, vous en avez eu […]

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… et où l’on les découvre vraiment

French eggcorns, the list.

Continuation du billet précédent, coupé en deux pour raison de longueur excessive. Voici donc la liste des poteaux roses français : héraut » héros : Un héros de la lutte contre le SRAS élu président de l’Association médicale chinoise (lien) ôter » hauter : Mon père avait sélectionné avec soin deux sabres pour nous hauter la vie, […]

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